Agencements n°4 – décembre 2019

Recherches et pratiques sociales en expérimentation

Collectif

Parution 12/12/2019
Format Livre broché de 248 pages
ISBN 979-10-95630-30-2
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12,00€ ( épuisé )

Sommaire

LA RECHERCHE EN FABRICATION

MARTINE BODINEAU
Préparer l’improvisation, les conditions d’une élaboration collective

COLLECTIF EPHEMERE DU 20 AVRIL 2019
Faire (ville et) film en commun, un film-collage-montage-cadavre exquis

COLLECTIF-EN-DEVENIR
Pratiques de fanzines, une discussion fictive tirée de faits réels

VILLES ET CORPS EN RECIT

LISE LANDRIN ET JULIE ARMENIO
Les corps pensants, une enquête par le théâtre-déclencheur de la compagnie Ru’elles

JILALI, REGIS GARCIA, LEOCADIE MBOUS, ARSENE MBUMA, MALO MORVAN, ADRIEN PEQUIGNOT
Masser les institutions, faire bouger les lignes

ARIELA EPSTEIN ET AMERICO MARIANI
À la recherche d’une méthode d’intervention ethnographique, prendre part à l’émergence de la contestation d’un grand projet urbain

L’EXPERIMENTATION OU LE PARTAGE DES SAVOIRS

MARTINE BODINEAU
Quatre leçons apprises du terrain, l’erreur ou l’insuffisance comme ressources pour la recherche et l’apprentissage

HASSANE ACINI
Expérience d’un chercheur en réciprocité. Récit d’un atelier de recherche-création à l’Université de Paris

NADINE SOUCHARD ET ELEONORA BANOVICH
Pourquoi co-opérer ? Faire émerger le sens d’une mobilisation collective

MALO MORVAN
Pourquoi je ne suis (presque) pas sur Academia.edu®

COULISSES

FABIEN GRANJON
Territoires et imaginaires ruraux, étude de cas des archipels et des processus instituants uzestiens

BONUS

GROUPE « FANZINE » DU 20 AVRIL 2019
« Faire la ville en commun »

Édito

Pour ce quatrième numéro, la revue Agencements, recherches et pratiques sociales en expérimentation, prend son titre au pied de la lettre, elle se l’adresse, elle s’agence. Ce faisant, elle s’institue un peu plus comme une pratique sociale singulière mais aussi comme un espace-temps de recherches en expérimentation. Elle prend place dans des configurations multiples, elle se déplace et humains et non-humains se déplacent avec elle. Numéro après numéro, elle se constitue comme une actrice, une médiatrice à part entière. Alors qu’elle sollicitait des écritures de chercheur·es, de praticien·nes, ce dernier numéro se singularise par la façon dont la revue voit également des séminaires, des collectifs et bien sûr des écritures la solliciter à leur tour.

Ainsi, à l’occasion des rencontres « Faire la ville en commun : expérimentations citoyennes et coopérations » des 19 et 20 avril dernier (à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord et à l’université Paris 8)1, Agencements est devenue un espace à investir pour les organisateur·ices et les participant·es. Le pari a été relevé d’écrire des articles pour la revue à partir des échanges intervenus durant ces journées. C’est pourquoi plusieurs articles de ce numéro sont issus des productions qui y ont pris place. De plus, puisque la date et la distance contribuent de façon non négligeable à la présence ou l’absence de certain·es lors d’une rencontre, la revue accueille aussi des contributions de personnes et collectifs qui n’ont pas fait le voyage, mais qui auraient tout à fait pu prendre place pendant ces deux jours. Illes le font aujourd’hui dans ce numéro.

Cette livraison d’Agencements propose en particulier un « bonus » tout à fait spécial : un tiré à part du fanzine « Faire la ville en commun » créé pendant ces rencontres d’avril.

Ces écritures en sollicitation induisent des co-élaborations et se déploient dans des espaces où se fabriquent des recherches et des pratiques (collectifs d’habitant·es, d’étudiant·es, de praticien·nes), mais aussi depuis lesquels elles se diffusent (médias indépendants, collectifs éditoriaux, corps). Au travers de ces sollicitations réciproques, Agencements vient travailler la nuance entre division et partage des savoirs à l’endroit même de la tension entre privatisation et transmission. La revue est donc devenue « opérateur d’agencements » par la manière dont elle provoque des coopérations, dont elle engage des personnes à travailler ensemble pour faire récit des expériences, des recherches ou des interventions. « Faire revue » est alors indissociable de « faire recherche » et, dans le cas de la présente revue, nous ajouterons assez facilement « collective ».

S’il était question de « faire soupe »2 dans le numéro trois d’Agencements, les recettes qui sont partagées dans celui-ci donnent quelques clefs pour faire recherche et agir collectivement. Elles donnent la part belle à l’improvisation et laissent des marges suffisamment larges pour venir annoter, commenter et discuter, compléter et bonifier, ajouter son ou ses ingrédients. S’approprier un contenu, c’est aussi s’approprier le contenant, ce que nous pourrions aussi appeler support, ou média. Faire revue/Faire recherche nous amène ainsi à interroger les médias de la recherche, parce qu’ils sont les moyens de partage, de transmission et donc de l’élargissement de l’expérience collective au-delà de l’événement et de celles et ceux qui y participent. Toujours dans cette logique de réciprocité, la question « médiatique » donne à penser ce que les médias, les formes de médiatisation et de diffusion font à la recherche ou, comme le suppose cet édito, la manière dont le médium fait recherche.

Dans le premier dossier « Recherches en fabrication », les recherches se fabriquent, s’improvisent et s’élaborent collectivement autour de médias. Le premier article fait le récit de la construction des rencontres « Faire la ville en commun ». Une journée s’est emparée de ces questions « médiatiques » : ce qui semble d’abord être un moyen de diffusion devient un espace d’interpellation entre des expériences et des savoirs. Le médium fait recherche au-delà du seul contenu qu’il diffuse, il devient le milieu de fabrication de la recherche, de mise en mouvement des corps. S’approprier la question médiatique plutôt que de la décrier, face aux réalités qu’engendre une société de Mass-média, c’est aussi interroger la multitude des expériences micro-médiatiques. Les recherches se fabriquent ainsi dans des formes de réciprocités qui engagent la critique des médias dans leurs expérimentations, par exemple dans la pratique des fanzines. Ainsi, Agencements s’essaye à d’autres modes de restitution de la recherche, en renvoyant et en se reliant à d’autres supports, ouvrant des possibles en termes de production, d’expression et d’accessibilité des savoirs. C’est notamment l’objet de la rubrique régulière « Transverse » de la revue, donnant à voir de telles restitutions ; elle est ici imbriquée dans ce premier dossier avec le film-collage-montage-cadavre exquis réalisé pendant les rencontres « Faire la ville en commun ». C’est ainsi que les recherches en fabrication se dotent des conditions d’une intermédialité et peuvent interroger au présent leurs rapports au temps et à l’espace, au réel et à la fiction.

Si Faire revue/Faire recherche est indissociable de la question des médias utilisés, celle-ci n’est pas non plus étrangère à celle des corps, à la façon dont l’expérience de construire une revue s’y loge. Alors que la construction de ce quatrième numéro touchait à sa fin, au mois de septembre dernier, Agencements a invité à sa table les contributrices et contributeurs de la revue pour la première fois. Si la revue a échappé ce jour-là au seul format numérique à l’ère de la plateforme, c’est bien depuis une plateforme internet que chacun des numéros a été conçu par des personnes qui, pour certaines, ne se sont jamais vues encore aujourd’hui. Au diffus et à l’immatérialité des savoirs constitués, agencés, à la « virtualité » de cette expérience, s’est ajoutée une forme de matérialité radicale : celle des corps en présence réunis le temps d’une journée dans une salle. Cela a ainsi été l’occasion de voir comment la fabrication de la revue, en tant que pratique et recherche collective, construit des espaces depuis des corps et des expériences. Comment elle s’in-corpore et se diffuse vers et depuis l’intérieur de ces corps.

Dans un deuxième dossier, « Villes et corps en récit », villes et corps s’articulent et se mettent mutuellement en récit. Le corps impliqué qui permet d’explorer nos pratiques et les constructions sociales, interroge les processus et les enjeux liés à la densification de l’urbain et des quotidiens qui s’y déplacent. Le corps en tant que lieu de pouvoir, qui par la médiation de mises en situations, peut penser et mettre en récit les expériences, mettre au jour le social encorporé, les rapports de domination et nos manières de fabriquer la ville. Dans ce dossier où le « care » affleure, le corps et la question du soin à lui apporter permettent d’approcher différemment les institutions : n’ont-elles pas de corps ? Ne sont-elles pas des corps associés ? Une manière de travailler notre rapport à l’institution ne pourrait-elle pas être de prendre soin, de masser ces corps des institutions, d’apprendre à traduire leurs langues et de les problématiser ? La mise en récit des expériences vécues permet d’explorer la ville et nos rapports aux institutions et sert aussi à ré-animer nos corps sidérés d’habitant·es hébété·es par les transformations néolibérales comme dans les grands projets urbains. Pourquoi ne pas construire une intervention ethnographique pour recueillir les témoignages d’expériences, mener l’enquête pour redécouvrir et redonner du sens collectivement et politiquement aux espaces et se réapproprier le devenir de nos environnements ? La recherche est là pour engager, en plein milieu, les transformations de nos mondes.

Le troisième et dernier dossier, « Savoirs en partage », interroge les processus démocratiques à l’œuvre dans les pratiques sociales. Démocratie ne peut ici être dissociée d’expérimentation. Il montre comment les recherches et les pratiques sociales ont à voir et à faire avec la création de dispositifs, de pédagogies, de formes singulières qui favorisent l’émancipation individuelle et collective. Ne pas prévenir toutes les erreurs et ne pas pallier à toutes les insuffisances enrichit les apprentissages ; raconter et documenter un atelier de recherche-création (où il est encore question d’un film) depuis l’intérieur et sous l’angle de la réciprocité peut faire apprentissage à toute lectrice, tout lecteur. Ce dossier donne à penser la façon dont les pratiques font université hors les murs mais aussi dans les fissures d’une institution qui se déchire entre public et privé. Il adresse donc à l’université l’hypothèse du commun, comment la production et le partage de savoir travaillent des communs à peupler de pratiques et d’expériences multiples. Qu’il s’agisse de faire émerger le sens d’une mobilisation collective ou d’expliciter sa (presque) non-présence sur un site de publication scientifique, il est question d’ouvrir des espaces où co-produire les savoirs en s’assurant ainsi qu’ils n’appartiennent à personne ou à tout le monde. Au travers de différentes mises en situation, ce dossier met l’accent sur les façons dont des personnes et des collectifs se mettent en recherche pour produire les conditions nécessaires à la co-construction des savoirs et à leur partage.

Enfin, la rubrique « Coulisses » permettra de prendre connaissance d’un nouveau « texte caché » de la recherche dont le propos vient en résonance avec les articles présentés dans les dossiers. Il décrit un projet de recherche-action qui s’engage avec les habitant·es pour réinventer les possibles d’un territoire rural disqualifié, déconsidéré et « marginalisé symboliquement », à partir de leurs pratiques et de leurs imaginaires.

Bonne lecture !

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1Celles-ci étaient organisées par Martine Bodineau et Pascal Nicolas-Le Strat, en collaboration avec le laboratoire Experice de l’université Paris 8 et le réseau des Fabriques de sociologie.

2Journet, François. (2019). « Faire soupe, une invitation à l’agencement et à la recherche », Agencements, n° 3, pp. 57-63.