Agencements n°5 – septembre 2020

Recherches et pratiques sociales en expérimentation

Collectif

Parution 11/09/2020
Format Livre broché de 224 pages
ISBN 979-10-95630-34-0
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12,00€

Sommaire

MYRIAM SUCHET
Formes de recherche

RETOUR SUR RECHERCHE

LAURA BETSCH, MARIE MENAUT, JÉRÔME RADAL, HASSIBA SI YOUCEF
En quête du squat. Cheminements d’apprentis.es – chercheurs.ses

FABIEN GRANJON
Enquêter sur/avec/pour Uzeste. Une sociologie à vivre au risque du dégagement

LOUIS STARITZKY
En cheminement vers le cube. Recherche d’itinéraires, Itinéraires de recherche

THOMAS ARNERA
Journal d'entres

ADRESSER LA RECHERCHE

MORGAN ROUXEL
Alzando la voz (élever la voix). Lettre d'une jeune chercheuse à des femmes organisées en collectif en Andalousie

JANIE ADGÉ
Plaidoyer pour les éducateurs et éducatrices de rue

PARADES
Politique à la folie

PATRICIA CROS
L'atelier-scène : de l’œuvre relationnelle au collectif agissant

Édito

Au travers de ses deux dossiers, « Retour sur recherche » et « Adresser la recherche », des articles qui les composent, ce cinquième numéro de la revue Agencements vient poser la question des formes de la recherche. Fait non prémédité, mais peut-être pas si hasardeux pour autant, cette nouvelle proposition ne s’ouvre pas par un dossier, mais par un article qui interroge explicitement cette relation entre formes et recherche.

Formes au singuriel1, pour le dire avec François Deck, car il n’est pas question ici d’envisager une forme objectivée, s’adjoignant à un fond lui aussi objectivé, par des règles et des normes. Il n’est pas non plus question, dans ce numéro, de récrier la norme, mais plutôt de laisser les praticienn·e·s-chercheur·e·s et chercheur·e·s-praticien·ne·s expliciter celles qu'illes utilisent, inventent ou rejettent, afin de partager leurs pratiques et leurs recherches. Cela, à l’instar d'Agencements, qui, en s’inscrivant dans le champ des sciences sociales, entend s’y référer, lui emprunter un certain nombre de normes, sans pour autant s’empêcher de travailler à en inventer des nouvelles à la périphérie d’autres champs.

Formes au singuriel, car les formes que prennent les recherches, à différents moments de leurs processus, échappent à celles et ceux qui les produisent et ce depuis le partage et les modes de partages qui en sont faits. Formations, déformations, transformations de la recherche font de cette dernière une pratique sociale à part entière. La prise en compte de ce caractère vivant et hautement subjectif ouvre des possibles de mises en recherche pour les universitaires mais aussi les acteur·rice·s dits de « terrain ». Les formes, et notamment les formes d’écritures et de réécritures de la recherche, sont ainsi mouvantes, processuelles et contextuelles, elles laissent entrevoir des possibles pour habiter et raconter les « entres ».

Le premier dossier, Retour sur recherche, permet d’envisager la manière dont les recherches en situation prennent formes au travers de moments et de mouvements. Comment les chercheur·e·s, face à un objet forcément mouvant, se mettent à penser la chorégraphie, la traversée dans laquelle illes s’embarquent collectivement. Ce faisant, la recherche prend différentes couleurs, différentes intonations, elle se dit et elle se fait à différents endroits (« engagé » ou « dégagé », sur ou à côté d’un chantier, dans ou à la porte d’un squat) et par différents supports (une revue, un fanzine, un blog, un séminaire doctoral...). Par ailleurs, que cela soit sur la question du terrain ou de l’objet, ces retours illustrent la manière dont le caractère changeant et non maîtrisé des pratiques sociales fait recherche. Ce premier dossier donne ainsi à voir des formes qui en appellent de nouvelles. Il interroge la manière dont revenir sur des situations et en situation ouvre et réengage la recherche.

Ces va-et-vient donnent lieu à des adresses mutuelles, des interpellations entre les recherches, qu’elles émanent du milieu universitaire ou du champ des pratiques sociales et culturelles. Le retour sur recherche apparaît ainsi comme le moyen d'adresser les recherches aux premier·ère·s concerné·e·s.

Le second dossier, Adresser la recherche, témoigne ainsi de l’importance du fait de « s’autoriser à » et d’écrire « pour », « avec » ou « dans », plutôt qu’écrire uniquement « sur » ou « à la place ». Le geste d’adresser l’expérience in-dissocie le partage de la recherche de son processus. Là encore, la forme (la lettre, le plaidoyer, le retour sur entretien, la mise en récit) permet d’envisager des manières d’adresser des travaux. De cette façon, les recherches et les pratiques, se constituent de manières contributives et agissantes, au-delà des méthodes et des dispositifs qui ont pour but de les instituer comme telles. Penser nos adresses, c’est ainsi penser les espaces-temps où les recherches affleurent, travaillent une porosité, plutôt que de prendre de la hauteur.

Les formes permettent donc de partager et de faire se rencontrer les « zones sensibles » de nos pratiques, les endroits où les pratiques et les recherches (s’)affectent. S’il est question de formes dans cet édito, il ne s’agit pas de les penser au détriment du fond ou, plus encore, au détriment de la relation que formes et fonds entretiennent. Ainsi, comme nous l’adresse ce second dossier, ces fonds qui prennent formes produisent des brèches pour faire recherche depuis des pratiques et des situations vécues comme minoritaires, ou pouvant être minorisées du fait de logiques dominantes. Inventer des formes ; laisser la recherche prendre forme, au-delà de celle qu’on a voulu lui donner ; s’autoriser et s’adresser des formes ou à s’échapper des formats établis, engage ainsi la recherche dans son propre devenir minoritaire. Sans exalter le «minoritaire » — qui, aujourd’hui, est bien souvent synonyme de violence du fait de mécanismes d’invisibilisation, d’acculturation ou encore de répression — les articles de ce numéro, posent la question de la création de formes minoritaires qui n’aspirent ni à s’insérer dans un modèle dominant, ni à un devenir majoritaire. En se construisant à partir des articles qu’elle convoque et qui la convoque, Agencements se retourne et s’adresse cette hypothèse des formes et du devenir minoritaire. Ce faisant, elle s’inscrit dans un processus de trans(-)formation depuis les recherches qui composent chaque numéro. C'est ainsi qu’ils prennent formes jusqu'ici et jusqu'à leur partage.

Bonne lecture.

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1. La formule de François Deck inspire ici l'idée que toute forme singulière est multiple, qu'elle se construit depuis une multiplicité, par des agencements particuliers. Elle inspire également l'idée d'une multiplication des formes, de leurs mises en relations et des actions qui en découlent. Deck, François. (2017). La première personne du singuriel. Toulouse, France : Contrat Maint.